Parler de "frontière", c’est à la fois toucher au philosophique, au psychanalytique, à l’histoire, à la sociologie, à l’économie, aux territoires, mais aussi, bien sûr, à l’art et à la littérature. Cette notion semble souvent porter en elle l'idée de la clôture. C'est pourtant tout l'inverse quand il s'agit de l'aborder sous la multitude d'angles qui peut la définir, tant elle échappe au saisissement, se nourrit du sentiment de la séparation comme du désir de franchissement, d'élancée vers l'horizon. Les frontières n'ont de cesse de naître, d'évoluer, d'être abattues, déplacées ou remodelées : frontières visibles ou invisibles, de la pensée, de l'imaginaire, du réel connu et de l'inconnu, limites qui séparent ou qui relient, frontières géographiques, de l'autre côté de la rue comme bien plus lointaines, celles d'un pays, d'une ville, d'une maison, d'un corps, d'une culture, voire de la vie elle-même. Qui dit frontières dit aussi passages ou transitions, entre deux états, entre l'enfance et l'âge adulte, entre une langue et une autre, entre vie privée et vie publique, entre le familier et l'étranger, entre le bien et le mal...
« Œuvre ouverte » pour Umberto Eco, « Espace littéraire » pour Maurice Blanchot, dans la création littéraire les frontières peuvent aussi représenter des embrasures, des réceptacles ou bien des champs de forces, des lieux d’antagonismes ou de luttes, entre fiction et réalisme, autobiographie et invention, histoire et anticipation... Si les frontières délimitent des lieux dans le temps, posent parfois des bornes ou des seuils, l'art, les littératures générale et jeunesse, se jouent d'elles à merveille, bousculent, dépassent, reforment de nouvelles lignes, les rendent incertaines, et dans ces variations incroyablement vives, ouvrent les perspectives.